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Evolution des paradigmes en sant? publique en Tunisie
Pr Bechir ZOUARI

Les premières années qui ont suivi l'avènement de l'indépendance ont été caractérisées par une priorité majeure en santé publique : la lutte contre les grandes endémies de maladies transmissibles : tuberculose pulmonaire, trachome, paludisme, bilharziose uro-génitale, typhoïde, et, à un moindre degré, teigne et gale. L'approche choisie était celle des campagnes de masse, associant le dépistage et la prise en charge des cas et l'éducation, ou plus précisément la vulgarisation, sanitaire et l'assainissement du milieu physique.

Toutes ces actions étaient menées essentiellement par des équipes de santé itinérantes, composées principalement de personnel paramédical.

Les plans de développement socioéconomique mis en ?uvre dès 1962 allaient structurer ces actions sous formes 1-de deux programmes visant l'éradication de deux maladies : le paludisme et la bilharziose uro-génitale et 2- d'extension de la carte sanitaire par la création de dispensaires, de centres de Protection maternelle et infantile et d'hôpitaux, ainsi de grands instituts nationaux spécialisés (ophtalmologie, pneumo-phtisiologie, santé de l'enfance..).

Le paradigme sous-tendant toutes ces actions était : «agir en ciblant la masse», ce paradigme allait rester le principe directeur des interventions de santé publique jusqu'au milieu des années 1970. L'intitulé de la direction chargée au sein du Ministère de la Santé Publique de concevoir et d'appliquer ces interventions était évocateur : «Direction des Campagnes Sanitaires».

De 1796 à 1981, une nouvelle approche allait être mise en ?uvre : intégrer les actions de prévention dans les soins curatifs, et passer progressivement de l'itinérance à la sédentarisation des activités : on continuait à cibler la masse, mais on commençait à se préoccuper aussi de l'action sur la personne. Cette «médecine intégrée» comme la Direction de la Médecine Préventive et Sociale (qui a succédé à la Direction des Campagnes Sanitaires) l'appelait, n'a pas remis totalement en question le paradigme de l'approche centrée sur la masse, mais a eu l'avantage de réduire le fossé qui séparait la prévention «classique» excluant les soins curatifs héritée du système de santé français de la prise en charge individuelle des affections courantes.

L'année 1978 a été marquée par la déclaration d'Alam Ata sur les soins de santé primaires, rebaptisés en Tunisie soins de santé de base (pour éviter le terme de «primaires», jugé péjoratif). La Direction des Soins de Santé de Base remplaça l'ancienne Direction de la Médecine Préventive et Sociale. Dès le début des années 1980, la Santé Publique allait adopter un nouveau paradigme, celui des programmes nationaux de lutte contre les maladies transmissibles et non transmissibles : plus de 20 programmes verticaux, à la conception et à l'élaboration fortement centralisées allaient successivement voir le jour.

L'intégration des programmes dans les activités de centres de santé de base (nouvelle appellation des dispensaires) était le maître-mot de ce paradigme des programmes nationaux, encore que cette intégration ait été réussie avec plus ou moins de bonheur pour certains programmes (le programme de périnatalité étant caractérisé par la dualité Direction des Soins de Santé de Base/Office National de la Famille et de la Population ).

Bien que la création des Directions Régionales de la Santé Publique en 191 ait été perçue comme un signal d'une volonté de décentralisation, dans la pratique, ces directions ont été cantonnées dans un simple rôle de «boîte aux lettre», chargées de l'exécution des directives de l'administration centrale, qui gérait de façon directe les programmes, exception faite pour les délégations régionales de l'ONFP, qui disposaient d'une autonomie de gestion réelle. L'Office National de la Famille et de la Population avait par ailleurs dès le milieu des années 1970 réorienté son approche d'une approche ciblant la masse (contrôle de la fécondité coûte que coûte) à une approche centré sur l'individu, avec la mise en valeur de la qualité de la relation soignant-soigné.

En 1994, une nouvelle initiative de relance de la décentralisation ratée en 1981 a été enregistrée avec le projet des Circonscriptions Sanitaires Direction des Soins de Santé de Base -UNICEF). Très rapidement, ce projet a été récupéré pour devenir un énième Programme vertical : le Programme National de Dévelop-pement des Circonscriptions Sanitaires.

En 2007, un nouveau paradigme a été proposé dans le cadre du 8ème programme de coopération 2007-2011 Tunisie-UNFPA, celui de l'approche basée sur les droits humains (ABDH). Considérant que, en matière de santé comme en matière des autres domaines de la vie, il y a des droits légitimes reconnus dont tous les individus peuvent se prévaloir, l'ABDH énonce que l'existence d'un droit suppose que quelqu'un est détenteur de ce droit qu'il peut faire valoir, et que quelqu'un d'autre, le détenteur d'obligation, a le devoir correspondant d'assurer la réalisation de ce droit.

Ce nouveau paradigme pourrait constituer le fondement de nouvelles politiques de Santé Publique pour les prochains plans nationaux de développement.